Rythmes scolaires-Refondation de l’école : et si l’Etat écoutait les enseignants ?

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Rythmes scolaires-Refondation de l’école : et si l’Etat écoutait les enseignants ?

J’ai une amie maîtresse d’école, elle exerce dans une ville moyenne de l’est de la France. J’ai toujours admiré son amour du métier et sa façon de le faire, apportant aux enfants à la fois les bases nécessaires et la curiosité d’esprit sans qui, selon moi, rien ne peut se faire. Depuis quinze ans que je la connais, je l’ai toujours vue d’un enthousiasme chevillé au corps pour tout nouveau projet, dénichant toujours le positif que cela pourrait apporter à ses élèves.

Et là, sur les rythmes scolaires, rien.

Il y a évidemment le fait qu’elle est profondément attachée au côté « National » de l’école de la République. Et que ces 3 heures de temps scolaire transformées en activités périscolaires prises en charge par chaque commune selon ses envies, selon ses moyens, introduit des inégalités territoriales totalement inadmissibles pour elle. Cependant, est-ce suffisant pour expliquer cette au mieux indifférence, au pire opposition farouche ?

J’ai d’abord cru que c’était aussi dû au démarrage chaotique de la « discussion » avec son Maire sur  l’application du décret : « 2013 ou 2014 ? » et à la véritable bataille qui s’en était suivie en janvier-février dans laquelle elle, mais aussi ses collègues, les parents, avaient laissé beaucoup de temps et d’énergie pour simplement obtenir que les nouveaux rythmes ne démarrent qu’à la rentrée 2014 et que soit pris, d’ici là, le temps de la réflexion.

Mais ce n’était pas cela. Quand le Maire de sa commune a relancé le débat en juin, pressé d’en finir avant l’automne et la campagne municipale, elle a peiné à s’y intéresser vraiment.

J’ai bien essayé…

J’ai bien essayé de lui démontrer que, bien que ce décret soit loin d’être parfait (en particulier, le fait d’avoir inscrit « 9 demi-journées d’école » au lieu de « 4,5 jours »), et à condition que le Maire crée une véritable synergie de ville associant enseignants, parents, élus, associations, il y avait la place pour réaliser un beau projet, et pas forcément à coût démesuré, en utilisant des ressources existantes. Mais je ne voyais pas son enthousiasme démarrer au quart de tour comme il avait l’habitude de le faire.

J’ai bien essayé de lui envoyer toute la prose de Claire Leconte, de lui parler de l’école lilloise où cette spécialiste des rythmes des enfants a aidé à mettre en place un emploi du temps qui perdure depuis 17 ans et où tout le monde trouve son compte, enfants, enseignants, parents (1). Mais, même avec le renfort de cette chronobiologiste dont un des credo est « qu’un enseignant heureux d’enseigner et éprouvant un bien-être quotidien est plus à même de motiver ses élèves et de leur faire acquérir le plaisir d’apprendre. », elle n’embrayait pas vraiment.

J’avais mis cela sur le compte d’une fin d’année difficile, de préoccupations bien plus immédiates et importantes, à gérer dans sa classe, que les rythmes scolaires, de réunions qui rajoutaient à l’habituel sentiment de manquer de temps au mois de juin. J’avais mis cela sur le compte de la fatigue, des journées qui n’ont que 24 heures, de la maladresse (ou pas) de son Maire de mettre un débat d’une telle complexité pendant un mois déjà si chargé (pour les enseignants, mais aussi pour les parents qui vont généralement, ce mois de l’année, de kermesse en fête du périscolaire).

Je me trompais.

Elle arrive à la rentrée avec le même sentiment de « pas envie de se plonger dans ce dossier des rythmes. ». J’en suis restée stupéfaite. Et j’ai essayé de réfléchir à ce qui était pour moi un mystère : « pourquoi une enseignante aussi dynamique et habituellement si partante sur tout, reste-t-elle ainsi en retrait sur ce que le Ministre nous présente comme « la » priorité de la refondation de l’école ? »

J’ai quelques réponses, je ne sais pas si ce sont les bonnes, mais j’avais envie de les partager avec vous. Peut-être pour vous alerter, vous aussi.

Des enseignants maltraités pendant cinq ans

Pendant les cinq années de gouvernement Sarkozy, les enseignants, particulièrement ceux du primaire, ont été maltraités : avec l’impression de course permanente due à la suppression de deux heures d’enseignement par semaine quand les programmes sont, eux, toujours aussi chargés, si ce n’est plus ; avec le sentiment que l’administration ramène leurs élèves à des numéros, à des évaluations et à des croix à cocher sur des livrets de compétences quand eux revendiquent de s’occuper d’enfants, en évolution permanente qui plus est; avec le non rempla-cement d’un fonctionnaire sur deux, quand les classes sont déjà bien chargées, les remplaçants non pléthoriques et les RASED qu’on supprime, pourtant indis-pensables au bon fonctionnement de l’école ; avec des phrases du Président de la République comme «L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal.» qui donnent à certains parents le sentiment qu’ils peuvent se dispenser du respect dû à l’enseignant de leurs enfants et se permettre d’agir en consommateurs d’école ; un salaire qui ne progresse même plus comme l’inflation.

2007 à 2012 a fait beaucoup de mal aux enseignants. Mon amie m’a même dit un jour qu’elle avait le sentiment qu’on lui avait volé son métier. Vous vous rendez compte ?

ENFIN !

Dans un rapport déposé au Sénat en juin 2012 (2) qui fait le constat de « la souffrance ordinaire des enseignants », la rapporteure (la Sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin), considérait qu’il « convenait de donner des signes forts de revalorisation matérielle et morale de la condition enseignante à la hauteur de leur implication quotidienne dans leur travail et des responsabilités toujours plus lourdes qu’ils doivent assumer ».

C’était il y a un an.

Les enseignants, plus peut-être encore que d’autres catégories de population, avaient mis beaucoup d’espoirs dans « le changement ». L’éducation semblait au cœur des priorités de François Hollande, Vincent Peillon allait lancer la « refondation de l’école ».

ENFIN, se sont dit les enseignants, l’occasion de prendre le temps de réfléchir aux vrais problèmes, et aux solutions à y apporter. ENFIN, l’occasion de se poser et de revenir à la question fondamentale « quelles sont les finalités de l’école ? ». ENFIN l’occasion qu’on écoute notre intelligence collective et notre connaissance du terrain.

Mais rien de tout cela n’a été fait.

La grande « concertation » de l’été dernier s’est résumée à réunir, vite, vite, les représentants du monde de l’éducation, à faire de l’entre soi sans que jamais la base ne soit incluse dans le processus (3). Du coup, les enseignants se sont sentis mis à l’écart de la refondation qui s’est bien vite, d’ailleurs, résumée aux rythmes scolaires… qui peuvent se résumer, dans les communes où, l’école n’étant absolument pas la priorité du Maire, à « classe le mercredi en supplément et ¾ d’heure en moins les autres jours ».

Quoi d’étonnant, finalement, à ce que mon amie, et de nombreux enseignants comme elle, ne s’intéressent absolument pas à cette « refondation de l’école » qui n’a de refondation que le nom et les place, dans toutes les communes où le Maire n’est pas moteur pour construire un vrai projet de ville, « face » aux parents, « face » aux élus, à se prendre dans la figure des phrases comme « tout ce que veulent les enseignants, c’est leur vendredi après-midi pour partir en week-end » ?

Je me dis juste que si elle habitait à Lannion, elle ne serait sans doute pas dans cette idée de se débarrasser au plus vite de ce dossier Rythmes scolaires, tout simplement parce que dans cette commune, le Maire a su mobiliser tout le monde autour d’un projet de ville, faisant se rencontrer les différents acteurs, les faisant travailler, réfléchir ensemble, donnant ainsi à chacun l’envie de s’intéresser à des domaines à priori hors de leurs compétences (en effet, on pourrait penser, dans un monde cloisonné, que les enseignants n’ont pas vraiment leur mot à dire sur le contenu des 3 heures périscolaires).

Sauf que si, à Lannion aussi, elle serait désabusée, car le projet sur lequel s’étaient mis d’accord enseignants, parents et élus a été refusé par l’Inspecteur d’académie pour cause de « légèrement hors des clous ».

Alors, M. Peillon, au lieu de s’auto-féliciter en ce jour de rentrée scolaire en qualifiant sa réforme des rythmes scolaires de « très grande réforme de justice sociale », ferait bien, pour que le changement se fasse vraiment, de simplement prendre le temps d’écouter ses enseignants.

Martine Debiesse

(Groupe Démocrate et Indépendant GemGif)

(1)   http://www.gemgif.fr/wbNewsFront/newsDetail/id/397

(2)   http://www.senat.fr/rap/r11-601/r11-601_mono.html

(3)   http://www.gemgif.fr/wbNewsFront/newsDetail/id/289

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